Où sont ces hommes politiques et ces activistes qui appellent à cor et à cri à descendre dans la rue pour commémorer les martyrs du 14 janvier — un devoir vis-à-vis de tous les martyrs —, mais tout en passant sous silence une autre date ô combien importante dans la destinée de notre pays ?
C’est le 18 janvier 1952 et au prix du sang que la lutte armée pour la libération du pays du joug de la colonisation a éclaté et allait se poursuivre au point de contraindre la France à entamer les négociations pour l’autonomie interne, première étape vers l’indépendance. Loin d’être contenue par les mesures répressives, la rébellion allait se confirmer et s’étendre.
En effet, l’arrivée de Jean de Hauteclocque, nouveau Résident général, qui était précédé en Tunisie de la réputation d’un homme dur et obstiné, allait multiplier ses coups durs et la répression s’annonçait donc brutale, extrêmement dure, systématique, au point de pousser les Tunisiens à prendre les armes quand le nouveau Résident s’avisa d’interdire le congrès du Néo-Destour, prévu pour le 18 janvier 1952, et décida d’arrêter Bourguiba.
La population descendit dans la rue, défiant le service d’ordre, pourtant renforcé à cette occasion. Plusieurs affrontements se produisirent alors devant le tribunal et aux environs de la prison à Bizerte. Bilan officiel : cinquante-quatre blessés. Dans la nuit, à travers toute la région, cent cinquante destouriens furent arrêtés préventivement.
Le 18 janvier, la population de Bizerte n’était plus la seule à descendre dans la rue. Celles de Mateur et de Ferryville en firent autant. Au bilan de la journée, plusieurs morts étaient dénombrés parmi les manifestants, dont trois à Bizerte et un à Ferryville. Déjà, le 17 janvier, le sang, dont en particulier celui de Taieb Tekaya, coula à Ferryville. Partout où leur parvinrent les nouvelles des exactions au Cap Bon, les Tunisiens en colère arrêtèrent le travail et descendirent dans la rue. L’Ugtt appela à la grève et les commerçants baissèrent les rideaux de leurs magasins. Dans la plupart des villes, des manifestations eurent lieu que les forces de police, renforcées par l’armée, s’employèrent à contenir en montrant toutefois qu’elles avaient ordre d’user davantage de l’intimidation que de la violence. Mais qui se rappelle encore ces héros oubliés et cette page glorieuse de l’épopée de la libération nationale ? Pourquoi figer l’histoire du patriotisme uniquement sur la base de calculs politiques étriqués? Notre devoir de mémoire et de reconnaissance aux enfants de la patrie ne devrait pas être englué dans les luttes internes mais servir de levier pour consolider le ciment qui nous lie; celui de l’amour de la patrie et notre engagement à servir le pays.